La tentation constitutionnelle, ou mieux vaut tourner sept fois sa langue…
La Constitution française prévoit deux tours aux élections présidentielles et non pas quatre. Chacun le sait. Alors pourquoi diable M. Sarkozy a-t-il cru bon de nous le rappeler ?
Même s’il n’y est pas favorable au sein de son parti, le président de la République n’a sans doute pas l’intention de déposer un projet de loi pour interdire la tenue d’élections primaires au sein des partis, en amont des tours officiels. Après le succès de la primaire socialiste, on imagine les dégâts dans l’opinion !
Il faut donc chercher ailleurs… Si l’on ne met pas la pratique en conformité avec le droit, on peut envisager de mettre le droit en conformité avec la pratique.
La Constitution prévoit que « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procédé, le quatorzième jour suivant, à un second tour. Seuls peuvent s’y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour ». Ce texte a vieilli : les sages qui entouraient de Gaulle avaient envisagé qu’au second tour, un candidat éventuellement mieux placé pourrait se désister au profit du suivant pour assurer la victoire de leur camp commun ! Aimable candeur… Maintenant qu’il apparaît que les primaires peuvent se tenir démocratiquement et avec succès au sein des partis politiques – dont la Constitution reconnaît qu’ils « concourent à l’expression du suffrage » – on pourrait envisager de passer directement au second tour.
Voilà qui créerait, au moins pour 2012, une incertitude plus grande encore que celle dans laquelle nous sommes : un parti extrême pourrait l’emporter sans avertissement sur le parti modéré de son camp – pour autant qu’un parti extrême et un parti modéré puissent appartenir au même camp. Il n’y aurait pas de repêchage à une situation où Mme Le Pen passerait devant cinq ou six autres candidats modérés mais divisés, même d’une voix, alors que le système à deux tours permet comme on l’a vu en 2002 de rassembler entre les deux tours une majorité modérée susceptible de battre un candidat extrémiste.
Ajoutons que le grand enthousiasme pour les primaires qu’on enregistre aujourd’hui pourrait retomber. Comme on l’a rappelé dans une chronique récente, à Rome, la gauche italienne a d’abord bien mobilisé son électorat avec les premières primaires, puis l’intérêt des sympathisants s’est émoussé à mesure que les militants contrôlaient mieux les candidatures, le processus et le résultat. Chez nous, il est possible que les conditions du succès de Mme Eva Joly sur son adversaire si médiatique dissuade plus d’un sympathisant de se mêler de ces petits jeux du côté des Verts.
Résumons-nous. Il n’est pas question d’interdire les primaires dans les partis à qui ce mode de désignation convient. Il n’est pas urgent de modifier la Constitution pour organiser un scrutin présidentiel à un tour.
Mais alors, pourquoi le président de la République a-t-il cru bon de rappeler que la Constitution prévoit que le scrutin présidentiel comprend deux tours et pas quatre ?
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