M. Trichet devrait faire le marché plus souvent
La dictature des marchés. L’expression fait florès à gauche comme à droite, et jusqu’au responsable de… l’Autorité des Marchés Financiers ! Elle ne veut strictement rien dire. Un marché est le lieu où s’organisent des transactions (de biens physiques ou immatériels). Si vous revenez du marché dominical en estimant que le poisson est trop cher, vous ne vous insurgez pas contre la dictature du marché mais contre les prix pratiqués par les poissonniers. S’insurger contre la dictature des marchés financiers, c’est critiquer l’attitude des apporteurs de capitaux (les épargnants individuels et les investisseurs institutionnels qui gèrent l’épargne des ménages, la vôtre, ami lecteur, comme la mienne), apporteurs de capitaux qui ne veulent donner leurs fonds aux banques ou aux Etats qu’à condition d’avoir une rémunération supérieure à l’inflation et surtout toutes chances d’être remboursés. Les mêmes qui critiquent les « marchés » veulent-ils dire que leur épargne, au lieu d’être protégée (la mission de l’AMF, par parenthèse), soit mobilisée et canalisée autoritairement par le politique, sans que celui-ci équilibre ses comptes pour pouvoir rembourser ses emprunts ?
L’Europe allemande. On en parle à droite comme à gauche en l’assimilant même à la dictature des marchés (M. Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères). L’idée, c’est que tout transfert de pouvoir dans le domaine budgétaire, reviendrait à un abandon de souveraineté au profit – on ne le dit pas, mais c’est limite – de l’ennemi héréditaire qui obtiendrait ainsi par la discipline économique qu’il s’est imposée ce que les armes ne lui ont pas permis de conquérir lors de la dernière guerre : la suprématie en Europe. Analyse erronée : un transfert de compétence ne constitue pas nécessairement un abandon de souveraineté. Conseil aux intéressés : relire les écrits de Benjamin Constant sur la liberté des Anciens, à la fois autonomie et participation à la décision commune. La France peut perdre son autonomie en matière monétaire (c’est fait) et budgétaire (c’est en cours) sans que sa souveraineté soit réduite : il suffit que sa participation à la politique commune soit assurée dans des conditions satisfaisantes.
Le refus de financer les Etats par la banque centrale (européenne). C’est apparemment la pomme de discorde entre la France et l’Allemagne. Les mêmes journaux qui nous en parlaient vendredi à la Une mentionnaient deux pages plus loin que (a) la BCE achète en toute indépendance (mais en quantité limitée) des emprunts d’Etats européens et (b) la Bundesbank a acheté ces derniers jours presque la moitié d’une émission obligataire ratée de l’Etat allemand. Alors, de quoi parle-t-on ? La question est ailleurs : veut-on laisser des Etats en faillite (pour reprendre l’expression de M. Fillon) se refinancer sans limite auprès de la BCE pour limiter les contraintes budgétaires (ex. la France) ou échapper à toute discipline réelle (ex. la Grèce) ? En fait, ni M. Sarkozy ni ses adversaires ne peuvent avouer cyniquement qu’il sont favorables à un « gommage » de la dette française par une relance de l’inflation ; alors on décale le débat et on le cristallise sur un sujet technique compliqué : le moyen de refinancer les Etats (par la BCE, plutôt que par l’impôt).
Dans les sphères gouvernementales, on prétend que l’inflation ne serait pas relancée par le refinancement monétaire de la dette publique ; en quittant la BCE, M. Trichet s’est glorifié d’avoir stabilisé l’inflation européenne en dessous de 2% en moyenne. M. Trichet seraient bien avisé de faire le marché du dimanche avec Aline, sa femme, de temps en temps : il verrait que les indices officiels des prix à la consommation ne reflètent pas – et de beaucoup – la hausse du coût de la vie des ménages. Vous croyez que l’inflation est contenue ? Essayez donc d’acheter un appartement avec le revenu moyen d’un Français ! La création monétaire, source d’inflation, a suppléé à la discipline budgétaire et financière depuis des années. Les politiques emploient certains mots pour d’autres pour ne pas avouer leur incompréhension des mécanismes économiques et financiers, ou leur manque de courage.
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