Les Français sont formidables
Un grand quotidien du soir daté du 23 septembre titre en première page : Sécurité sociale : un budget qui ne fâche pas – avec deux sous-titres : Le déficit global devrait diminuer de 18,2 à 13,9 milliards d’euros en 2012 et Côté assurance-maladie, l’effort d’économie ménage les assurés.
L’article auquel renvoie ce titre rappelle que la Cour des comptes a récemment pointé un déficit historique de 30 milliards en 2010, ce qui est effectivement beaucoup ; par rapport à ce maximum, 18 milliards en 2011 qui en deviennent 14 en 2012 presque sans douleur – c’est un budget qui ne fâche pas – voilà un vrai progrès. En somme, tout va bien : circulez, il n’y a rien à voir…
Sauf que…
Sauf que les dépenses de Sécurité sociale, rappelez-le moi, ce sont bien des dépenses courantes ? Donc, ces 30, puis 18, puis 14 milliards qui font 62 milliards de déficit en trois ans, ce sont autant de dépenses courantes qu’il va falloir financer par l’emprunt, non ? Si ! Ça fait donc 62 milliards d’emprunts supplémentaires pour financer des dépenses de consommation. Pas des dépenses d’équipement, des dépenses courantes ! Le tout s’ajoutant à une base de 130 milliards logés dans la CADES – mais si, vous savez, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, c’est ce montage financier qui vise à reporter sur nos enfants et petits-enfants le poids de dépenses improductives qui auront bénéficié exclusivement à leurs parents et grands-parents…
De temps en temps, la presse a des sursauts d’indignation : les ménages sont surendettés, c’est la faute des banques ! Les collectivités locales sont surendettées, c’est la faute des banques ! Mais quand c’est la Sécurité sociale qui est surendettée, c’est la faute de… la crise !
Mais oui. Les experts en truquage intellectuel ont inventé des petits calculs qui vous déculpabilisent totalement de consommer plus de médicaments que les autres patients du monde développé. Prenez une situation de départ (en léger déficit, bien sûr, mais c’est que la régulation financière des dépenses médicales n’a pas bonne presse, voyez-vous) ; trois ans après le trou est béant ; ne vous fatiguez pas à le combler, il suffit de l’expliquer et déjà, le patient sentira un mieux. Tenez, une partie du trou supplémentaire vient du dérapage de la consommation médicale – ça, maintenant qu’on le sait, vous voyez, on se sent mieux ! Car il n’y a rien à faire puisque la régulation financière de la consommation médicale, ça irait à l’encontre du sacro-saint droit à la santé ! L’autre partie du trou, eh bien, c’est que les cotisations ne rentrent plus – c’est l’effet de la crise : baisse des revenus, donc baisse des cotisations, c’est mécanique. Et la crise, qu’est-ce qu’on y peut ? Rien évidemment. J’ajouterais même que ce déficit a un petit effet sympathiquement positif : il est anticyclique ; pour un peu, il relèverait d’une politique néo-keynésienne indiscutablement nécessaire… Pauvre Keynes !
Voilà. En deux temps trois mouvements, le trou est expliqué, donc escamoté. On peut passer à autre chose : d’ailleurs, le quotidien du soir vous le dit dans son titre : Le budget ne fâche pas…
Après ça, évidemment, les marchés éprouvent quelques doutes sur la solvabilité d’un certain nombre de pays. Ouais, mais ce sont les marchés. Par définition, les marchés ont tout le temps tort – voyez les excès dans lesquels ils tombent aujourd’hui ! Et puis, nous n’allons pas accepter la dictature des marchés, quand même ! Ce serait contraire à la démocratie.
Crédit photo : Monster and Girls
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